L’Anses s’oppose à la création d’un comité d’orientation sur les phytos
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) alerte sur trois problèmes majeurs du projet de création d'un comité d'orientation pour la protection des cultures, issu de la proposition de loi Duplomb.
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Le 27 février 2025 à Paris, en marge du Salon de l’agriculture, Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée en charge du pôle des produits réglementées à l’Anses, est revenue sur la proposition de loi Duplomb en cours d’examen à l’Assemblée. Un projet de décret d’application propose notamment la création d’un comité d’orientation pour la protection des cultures.
« Je vais vous retranscrire la position de notre directeur général Benoît Vallet, dont je me fais la porte-parole aujourd’hui. Il est opposé à ce projet dans la mesure où il vient en contradiction avec le rôle d’une agence sanitaire et se télescope avec le code de la santé publique », déclare Charlotte Grastilleur. À ce titre, elle pointe du doigt trois problèmes majeurs.
Risque de conflit d’intérêts
Le premier problème tient de la déontologie. « Ce collectif, dans lequel nous serions conviés, serait aussi constitué d’industriels, qui sont les demandeurs d’autorisations de mise sur le marché (AMM). Cela questionne fortement en matière de conflit d’intérêts, qui selon sa définition légale est aussi une question de perception de nos relations avec tout porteur d’intérêts (firmes, filières, ONG…), indique Charlotte Grastilleur. Or au titre du code de la santé publique, nous devons faire la preuve de ne pas évaluer les risques ou décider sous influence, et cela pour l’ensemble de l’agence. »
La logique de l’Anses est la suivante : « Soit nous prenons la mission de l’agence telle qu’elle est au titre du code de la santé publique, soit le ministère doit reprendre en charge la gestion des AMM. Or ce qui est proposé est un entre-deux, avec un politique qui ne souhaite pas pour le moment reprendre la main mais dans le même temps, veut prendre part aux processus de décision confiée par la loi actuelle à l’Agence », explique la directrice déléguée. Ce comité créerait ainsi « un mélange de genres », selon les propos de Benoît Vallet.
Cible manquée
À ce premier problème s’ajoute celui de l’obligation qu’aurait l’Anses de communiquer ses projets de décisions (à ce jour, seules les évaluations et décisions sont rendues publiques). « Le directeur général, responsable pénal de l’ensemble du dispositif, se retrouverait dans une situation complexe à gérer, où il serait amené à discuter d’un contenu non définitif », décrit Charlotte Grastilleur.
« Par ailleurs, ce projet de texte est mal rédigé en termes de périmètre car il est écrit dans une perspective phytosanitaire mais porte pourtant sur d’autres décisions. Nos décisions sont beaucoup plus vastes : biocides, médicaments vétérinaires, agréments de laboratoires… Pour ne citer que quelques exemples. » De l'avis de l'Anses, la cible initiale des produits phytosanitaires risquerait d’être manquée.
De faux espoirs
Le troisième problème relève de la notion de priorisation, associée à ce comité d’orientation. « Au sein du comité des solutions, créé à l’initiative du précédent gouvernement, nous avons bien vu que les filières sont intéressées par un usage donné et bien précis, notamment lorsqu’il n’y a pas d’alternatives ou qu’il ne reste qu’un seul produit disponible. Mais le diable se cache dans les détails », alerte Charlotte Grastilleur.
En effet, à la difficulté première d’arbitrer sur les filières, avancée d’ailleurs par Phytéis, s’ajoute celle de la complexité de la procédure. De plus, les dossiers d’évaluation étant européanisés, il faut prendre en compte l’arbitrage des États membres et le temps nécessaire pour le faire.
« Ce projet de comité est certainement rempli de bonnes intentions. Les filières en attendent beaucoup, mais il ne pourra pas leur permettre d’avoir des réponses à toutes leurs questions. Quant à l’Anses, nous préférions le système du précédent gouvernement (le comité de solutions) où nous étions dans de la concertation », résume Charlotte Grastilleur.
Devoir d’harmonisation
L’Anses conçoit tout de même que des marges de progrès sont possibles dans l’harmonisation des AMM au niveau européen. « Dans le comité de solutions, nous avons effectivement vu des différences entre la France et d’autres pays européens. Mais il faut pouvoir les expertiser, explique Charlotte Grastilleur. Des différences peuvent avoir de bonnes raisons d’exister mais lorsqu’elles viennent strictement d’une divergence scientifique, alors je suis d’accord pour dire que nous devons impérativement harmoniser et engager l’Anses en lien avec Bruxelles et Parme (1) sur ce sujet fondamental », ajoute-t-elle.
« Le système actuel à trois crans d’évaluation (substance, zonal puis États membres avec leur propre responsabilité) est forcément source de différences et de distorsions. Mais je suis engagée à les réduire […] sur la partie scientifique. Cela permettra aussi de bonifier l’image de l’Anses, à qui on reproche souvent d’être plus drastique que les autres agences. En effet, contrairement à d’autres États membres, nos évaluateurs collent le plus possible avec les méthodes européennes », conclut Charlotte Grastilleur.
(1) Siège de l'Efsa : Autorité européenne de sécurité des aliments.
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